Si les tout premiers morceaux semblent annonciateurs d’un voyage mystico-lyrique, Ring s’avère être une longue traversée du désert.
Glasser est celle que l’on présente comme la nouvelle Bat For Lashes. Forcément, je me méfie. Le recours aux alléchantes comparaisons est un peu trop facile. Un jour on vous vendra qu’aujourd’hui est le nouvel hier, et ça vous suffira.
Pourtant, force est d’admettre qu’il y a quelque chose de Natasha Khan. Apple et ses rythmes tribaux ouvrent la voie à une douce balade qu’on écoute sans peine. De celles qui vont font oublier le bitume et laissent un goût d’exode fantasmé. L’échappée belle s’étend sur quelques pistes. Le temps d’apprivoiser l’empreinte éthérée de la frêle Glasser. Une empreinte vocale qui se distingue du flot de female vocalists de ces dernières années.
Mais très vite je décroche, comme on décroche d’une conversation avec la voisine de palier. Les morceaux déjà longs semblent s’éterniser et, inlassablement, se répéter. Chaque rythme se fait l’écho du précédent, si bien que l’on n’y prête plus attention jusqu’aux pénultièmes notes de Clamour. Si la kaléidoscopie n’a pas vraiment fonctionné, Ring s’écoute volontiers les jours de pluie.
C’est une journée où l’envie de groover n’est pas au rendez-vous. D’ailleurs je n’ai pas souvent envie de groover. J’ai généralement besoin de disques qui me guident vers l’introspection. J’introspecte souvent, voire quotidiennement et avec minutie. On est un homme d’intérieur ou on ne l’est pas ! C’est pour ça que je creuse à fond chacun des sillons du nouvel album de Blonde Redhead. Il paraît qu’il en déçoit quelques uns, mais pas moi. Donc ce jeudi est une journée où je fais ma mine de flétan disgracieux et voilà que l’on me met dans l’assiette et comme de bien entendu ce Flétta concocté par Antony Hegarty et la sublime Björk. Comme qui dirait une chanson qui va bien pour nourrir mes tendances à la procrastination et au dénigrement de mon moi véritable.
C’est un titre qui vient tout droit de Swanlights, l’album magnifique qu’Antony et ses Johnsons (que je vais ouvrir) offrira au monde entier cet automne. Oui, je l’ai déjà entendu, je l’écoute même à cet instant, alors que dehors un ouvrier du râteau ramasse déjà les premières feuilles mortes.
Penny Sparkle de Blonde Redhead est en écoute intégrale dans le désert.
J’espère que ce n’est pas à cause de son nom que le groupe parisien, Backbone Party, me fait résolument penser à Bloc Party sur Sharmutations, titre écouté en boucle ce dimanche. L’introduction de ce morceau et la voix du chanteur (Rabih Gebeile) peuvent également égarer l’auditeur sur la fausse piste du groupe londonien. Sous des dehors un peu cold, Sharmutations est bien plus retors qu’il ne veut bien le laisser entendre et prend des aspects très métalliques sur la fin. En tout cas, ce véritable hit est en train de laisser des traces.
Sharmutations est issu dans ep autoproduit très abouti que l’on peut découvrir sur le site du groupe ou sur sa page communautaire. Backbone Party devrait sortir un premier album prochainement, un disque enregistré avec les concours de Ted Niceley (Girls Against Boys, Noir Désir, Fugazi) et de Eli Janney (Girls Against Boys).
Billy Mackenzie était le chanteur des Associates, groupe écossais turbulent, aux influences aussi diffuses et confuses que Subway Sect, Orange Juice, Abba et la Croisière S’amuse….
Billy Mackenzie et son acolyte Alan Rankine ont ainsi peaufiné, quelques années durant, de précieux albums pas toujours finement exécutés, et pas exempts de dérapages au-delà de la frontière du mauvais goût…
Billy Mackenzie chantait pourtant d’une voix céleste, garnissant ses vibratos dépenaillés de percées splendides dont l’origine terrestre me laisse encore à ce jour dubitatif tant cet homme portait en son organe de génie vaporeux, de hargne angélique, de pulsion candide.
Billy Mackenzie ignorait tout de lui-même, préférait incarner le doute aux yeux des lads britons et écossais, et se moquait comme d’une guigne de cette préciosité censée l’amoindrir alors qu’elle constituait son essence, sa raison d’être.
Billy Mackenzie a inspiré à Morrissey les paroles de William it was really nothing, ce qui est amplement suffisant déjà à me le rendre attachant et intéressant.
Billy Mackenzie, dans la chanson Nude Spoons, a écrit et chanté, avec l’aplomb qui sied tant à l’homme unique « content d’avoir eu cette attaque cardiaque fatale, voilà qui guérit le psoriasis » et, rien que pour cette phrase, mérite que tout l’intérêt du monde se trouve porté à sa mémoire d’homme inclassable.
Billy Mackenzie, au crépuscule de sa carrière et de sa vie, a écrit, chanté et pleuré le plus bel album de résignation froide qu’il est possible et décent d’enfanter en ce bas monde : Beyond The Sun, sorti en 1997 chez Nude Records:
Billy Mackenzie était déjà ailleurs, sa maman ayant, durant la gestation de ce douloureux chef d’œuvre, rejoint son nuage, son costume blanc et son vestiaire céleste pour se changer en ange.
Billy Mackenzie s’est donné la mort, peu après, dans le réduit de jardin de sa modeste demeure écossaise, effrayé de constater à quel point son don divin pour la mélopée qui fait s’arrêter les cœurs transis inconnus de lui – pour sublime qu’il fut – ne saurait jamais provoquer, chez le seul être aimé de lui l’effet inverse au besoin.
Parfois, du coté d’Édimbourg, on raconte que le vent siffle et craque sur l’air de She lives by the Sea, comme pour nous donner des nouvelles, mais je n’y crois que peu…
Billy Mackenzie, sans doute heureux sous la grande voûte et dans la lumière à présent, après toute une vie d’ombre ici-bas, n’a plus besoin, j’en suis persuadé, de chanter ou sangloter.
Cool Britannia is dead… Les conservateurs de retour aux affaires du pays, Oasis séparé, le glas du briton tout puissant, trop cool et soucieux de son teint pour gober un acide de plus, trop in et métrosexuel pour s’avouer une conscience sociale ou un frère chômeur, a sonné pour de bon…
Dans l’ombre de cette débâcle dont le spectre aura même échappé aux lecteurs du Guardian et à Jean Michel Apathie, Paul Towler et son The Westfield Mining Disaster fourbissent en toute discrétion leurs armes depuis quatre bonnes années maintenant afin d’être prêts le jour du besoin…
C’est dans ce contexte idéal que sort leur artisanal et très attachant Big Ideas From small places, sorte de brûlot sucré, de manifeste gonado-cérébral à la cool, dont le sérieux du propos n’entame jamais les accents musicaux bucoliques…
The Westfield Mining Disaster c’est à la fois Billy Bragg en tongs et chaussettes, Morrissey qui joue à la pétanque mais en faisant un peu la tête quand même, Micheline Dax qui siffle A bomb in wardour street, bref, de quoi passer l’été en beauté, sans s’ennuyer inutilement…
Au long de leurs percutantes saynettes sociales aux titres évocateurs tels que Greedy Bastards, save your souls ou Yours ain’t ugly like ours, les quatre de Bristol convient les fantômes Easterhouse, Mac Carthy et Housemartins à jammer dans les bureaux de feu Sarah Records et nous infligent illico une incroyable envie d’en découdre, mais après l’amour seulement, se battre et baiser étant les seules choses gratuites en ce bas monde (sauf pour Jean Luc Delarue et Franck Ribéry)
Remplis de morgue, mais suffisamment ciselés, colorés et entrainants pour éviter lassitude et redondance, les morceaux de TWMD démontrent que, si l’esprit red wedge a végété sans mourir, il a fait sa nuit, puis entamé une mue salutaire pour nous revenir plus souple, plus direct car moins alourdi par le fardeau de son propre gravité :
Les lendemains seront chantants, là-bas, nous en voilà totalement convaincus par la grâce infuse de ce disque viscéral sans être indigeste pour autant.
on en salive d’avance et on envie déjà bien fort nos cousins d’outre manche, nous qui attendons nos Smiths depuis le siècle dernier, au doux pays de Liane Foly et de Sylvain Mirouf.
Qu’importe, avant que ne déboule notre improbable grand soir musical, passons donc la meilleure des journées qui soit en profitant, mi-jaloux, mi-euphoriques de cet album si frais et touchant de vérité.
L’album hivernal idéal pour votre été, et vice-versa, en somme.
A l’époque où les Crystal Castles ont commencé à faire parler d’eux, je me souviens avoir quitté leur page Myspace sans même lancer le lecteur. La faute à leur première pochette d’album, où Ethan Kath et Alice Glass posent devant un rideau métallique, têtes penchées et bras ballants. Je me suis dit quelque chose comme: encore un groupe branchouille que la jeunesse dorée va encenser avant même de l’avoir écouté. Et puis un jour Practice of Alice m’est parvenu aux oreilles sans que je ne demande quoi que ce soit. C’était bruyant, c’était brut, c’était bon. Terriblement. Chaotique, électrique, extatique.
Le duo électro noise revient aujourd’hui et nous balance un deuxième album du même nom. A l’écoute de Crystal Castles (II), je retrouve dès le départ la fougue de la petite Glass et les oscillations de sa voix. Fainting Spells est sans surprise très noisy, de ceux à écouter très fort et avec quelques grammes dans le sang. J’attends le faux pas que beaucoup d’autre ont fait: s’être confortés dans le style qui les aura menés au succès et s’en être contenté. J’attends quelque chose qui n’arrive pas puisque les morceaux se suivent et ne se ressemblent pas. L’album alterne entre saturation, déstructuration et onirisme à coups d’Atari. Pour la première fois peut-être, j’entends Alice chanter.
Excepté le trop répétitif Birds, la seconde moitié de l’album m’emmène là où je ne suis jamais allée. Là où les lumières de la ville ne s’éteignent jamais. A travers la vitre, je regarde les vies défiler. Des hommes qui rentrent trop tard, des gens qui s’en vont et jamais ne reviendront, des alcoolos qui cachent leurs faiblesses dans des sacs en papier. Des âmes esseulées. Je les regarde s’éloigner, ou plutôt le contraire, et je ne m’arrête jamais. Pour une échappée belle sous la voûte étoilée, Crystal Castles (II) est une belle réussite.
Je vous laisse avec un live d’un de leurs succès:
Le groupe sera cette année présent au festival Rock en Seine. Myspace et site web.