« Sambre », histoire d’un déni général
Sambre est une série policière de 2023, en 6 épisodes, diffusée sur France 2. Réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, elle est librement inspirée par la véritable affaire du « violeur de la Sambre », et de l’enquête d’Alice Géraud « Sambre, radioscopie d’un fait divers ».
Elle raconte l’histoire de nombreuses femmes violées entre 1988 et 2018 par un homme qui aura échappé à la police et aux magistrats durant ces trois décennies.
A chaque épisode le réalisateur prend le point de vue d’un protagoniste différent : victime, juge, mairesse, scientifique, commandant et enfin le violeur lui-même.
La mise en scène de Jean-Xavier de Lestrade est sobre, crue, sans artifices. Les plans s’installent dans la durée. Quand les victimes témoignent à la gendarmerie, il y a peu voire pas de contrechamp. La caméra reste fixée sur la victime. On entend et on voit ses silences, ses hésitations, ses contradictions, ses émotions. En face, les gendarmes sont souvent maladroits, parfois méprisants, parfois sceptiques ou même agressifs. Et ils minimisent toujours les faits.
Grâce à cette mise en scène, le spectateur s’identifie pleinement à elles. Le colère monte en voyant le peu de cas qui est fait à ses femmes, leur traumatisme, la nécessité de leur rendre justice, ou simplement de considérer la gravité de l’acte qu’elles ont subi.
La parole des femmes négligée
Un viol. C’est bien de ça dont il est question. Entre 1988 et 2018 la société a évolué. Depuis le début des années 2000 la parole des femmes s’est libérée et commence à être entendue. Le mouvement #metoo de 2017 a enfoncé le clou, révélant toutes les violences faites aux femmes : sexuelles, physiques, psychiques, discriminatoires…
Dans la série Sambre, c’est bien le déni de toute une société qui est mise en lumière.
Christine, le toute première victime ne veut (ne peut) pas admettre qu’elle a été violée. Il lui faudra des années pour prendre la mesure de ce qui lui est arrivé.
Laurent, le mari de Christine est incapable de soutenir sa femme face au traumatisme qu’elle a vécu.
Bernard, le capitaine de gendarmerie est incapable d’admettre qu’il puisse y avoir un lien entre plusieurs viols commis dans une même zone.
Jean-Pierre, l’officier de gendarmerie est incapable d’imaginer que le type avec qui il boit des coups de temps en temps puisse être inquiété.
Les collègues féminines jalousent une victime suite à sa mutation pour éviter qu’elle continue de travailler sur le lieu de son agression.
Une gendarme est même particulièrement agressive avec une des victimes, qu’elle traite de menteuse.
C’est dans ce contexte hostile qu’un certain nombre de protagonistes (principalement des femmes d’ailleurs), va prendre conscience de la gravité et de l’ampleur de la situation, pour faire avancer les choses… petit à petit.
Il faudra 30 ans.
30 ans pour comprendre l’horreur qu’ont subie les victimes.
30 ans pour apprendre à écouter les femmes.
30 ans pour enquêter efficacement sur ces trop nombreux viols.
30 ans pour admettre qu’un violeur peut être un Monsieur Tout le monde.
30 ans pour admettre que ces femmes ne mentent pas.
Sambre : une mise en scène sobre et une interprétation juste
Tout comme la mise en scène, le jeu des acteurs de Sambre est sobre, réaliste, tout en retenue. Inutile d’en faire trop. Chaque acteur incarne brillamment son personnage, à commencer par Jonathan Turnbull, interprète du violeur, troublant de bonhomie et de normalité.
Alix Poisson est Christine, la première victime, que l’on suit au fil des années. Elle passe du choc au déni puis vit au quotidien avec son traumatisme pour atteindre finalement une forme de résilience. Alix Poisson y est bouleversante.
Pauline Parigot est une jeune juge considérée comme un utopiste et méprisée par ses pairs (hommes). Son interprétation pleine de fraicheur renforce l’amertume de son personnage entravé.
Noémie Lvovsky campe avec fougue et espièglerie une mairesse révoltée et humaine qui se bat seule pour venir en aide aux victimes.
Clémence Poésy interprète tout en élégance une scientifique rigoureuse, quasi obsessionnelle qui touchera du doigt la vérité… sans que personne ne s’en rende compte.
Julien Frison est le gendarme qui aura assisté à toute l’affaire, sur trente ans. Sans mépriser son personnage, il arrive à exprimer sa naïveté et sa tardive prise de conscience avec beaucoup de finesse.
Olivier Gourmet, enfin, joue Winkler, un commandant qui enquête sur des cold cases (affaires anciennes et non résolues). Il impressionne par sa présence, son autorité semble innée. D’un personnage qui aurait pu n’être qu’un taiseux monolithique, il parvient à en faire une homme pudique et sensible.
Sambre, c’est tout ça : une fiction remarquablement écrite, mise en scène et interprétée.
C’est aussi un regard sans concession sur un système défaillant et une société qui évolue trop lentement.
Salutaire et nécessaire !
La série est actuellement diffusée chaque lundi sur France 2 et sera disponible sur la plateforme France TV jusqu’au 20 mai 2024.
La bande-annonce
L’affiche de Sambre
Fiche Technique
- Création : Jean-Xavier de Lestrade
- Scénario : Alice Géraud, Marc Herpoux
- Production : Versus Production, France Télévisions, Federation Entertainment, What’s Up Films
- Langue originale : français
- Genre : Policier, drame
- Nombre de saisons : 1
- Date de première diffusion : 13 novembre 2023
Distribution
- Alix Poisson : Christine Labot
- Noémie Lvovsky : Arlette Caruso
- Clémence Poésy : Cécile Dumont
- Pauline Parigot : Irène Dereux, la juge
- Olivier Gourmet : Etienne Winckler
- Julien Frison : Jean-Pierre Blanchot
- Jonathan Turnbull : Enzo Salina
- Pasquale d’Inca : Bernard, le capitaine