Noémie Ventura – interview juin 2003
Je sais que vous allez vous demander si cette personne a un lien de parenté avec l’inoubliable tonton flingeur. J’avoue que l’interview qui suit ne nous le dit pas. Cela n’a pas d’importance, car vous découvrirez bien plus. Vous découvrirez comment le monde de la musique a sans doute perdu une immense guitariste, mais gagné un regard. Car Noémie est – comme je vous l’ai dit – photographe. Bien sûr, elle voue une affection argentique pour les musiciens qui l’entourent, mais elle capture aussi les pirouettes des dompteurs de vagues et les sourires espiègles de petits moines tibétains. De plus, tous ces fragments de vies sont à la disposition du monde entier sur un site internet riche et d’une sobriété exemplaire. Alors, comme on aime beaucoup ça, on s’est dit qu’il était temps pour vous de faire connaissance. [juin 2003]
Photographies : Noémie Ventura
Quand et comment t’es venue ta passion de la photographie ?
Vers 6–7 ans, mon père m’a acheté un petit appareil photo à disque avec lequel je faisais des photos de tout ce qui m’entourait (les fêtes de l’école, le chien, le chat, les chevaux, les bouches d’incendie…), ça c’était le premier contact… Puis à 17 ans, mes parents m’ont offert un appareil compact à Noël qui a disparu en Inde un jour de décembre 2000. En fait, j’adorais prendre des photos… avec mon compact, je suis allée à des contests de skate sur Orléans, et je l’emmenais partout avec moi quand j’allais à des concerts pour l’Oreille (certaines de mes photos, prises avec ce petit appareil compact ont même été publiées dans l’Oreille…), même si j’avais conscience d’être limitée avec mon appareil, je m’éclatais bien. Je savais que tôt ou tard, je m’en achèterais un mieux… En Août 1999, j’ai revendu mon ampli guitare Marshall pour m’acheter mon premier appareil photo un peu élaboré, un Canon. Cette période est décisive : je suis en train de quitter le nid familial pour prendre mon premier appartement, je décide de sacrifier un peu de mon autre passion (la musique) pour me mettre vraiment à la photographie noir et blanc… Suite à cet achat (très décrié à l’époque par mes parents), j’installe ma première chambre noire dans la salle de bains de mon nouvel appartement. Commence alors une période d’apprentissage 100% autodidacte de la photographie, du développement, des tirages… Je photographie alors surtout mes amis musiciens, dont un ami, en particulier, que vous connaissez bien, Matthieu Malon, qui est en train d’enregistrer son premier album et qui accepte de me faire confiance et de jouer le rôle de cobaye ! (merci Mateo Maloni !!) J’ai eu mon Leica m6 un an plus tard, en septembre 2000.
Quel matériel utilises-tu, apportes-tu beaucoup d’importance à l’aspect technique de la photo ?
J’utilise un Leica m6, le plus souvent avec un objectif grand angle (35 mm)… je pense que l’aspect technique d’une photo est quelque chose de secondaire… Personnellement j’ai besoin de ressentir le besoin de prendre une photo, c’est très instinctif. Parfois, je ne vais pas prendre de photos du tout, tout simplement parce que cela ne me dit rien, que je ne le sens pas… Et puis parfois je vais me lâcher sur une prise de vue, un cadrage qui me plaît… Ma priorité n’est pas l’aspect technique, c’est surtout l’instinct et si je sens une photo ou pas, si mon cœur se met à tambouriner au moment où j’appuie sur le déclencheur ou pas…
Que penses-tu de l’essor du numérique dans le domaine ?
Je pense que le numérique, l’argentique, le polaroïd sont des choses complètement différentes. On ne les utilise pas du tout pour les mêmes raisons. Moi, je préfère l’argentique et la précision de mon Leica… Je n’ai pas trouvé pour l’instant de rendu équivalent dans le numérique. Je pense que l’argentique à un grain et une finesse très spécifique, et que c’est ce qu’il y a de mieux pour le noir et blanc. Le numérique à d’autres avantages, c’est notamment très bien quand on doit fournir des photos très rapidement… et selon moi, le numérique convient parfaitement aux gens pour qui la photographie est un loisir, car c’est beaucoup plus écologique, il n’y a pas besoin de produits chimiques pour les développements et ça ne nécessite pas l’utilisation de matières animales (puisqu’il n’y a pas de films).
Tu travailles en couleur et en noir et blanc, qu’est-ce qui motive le choix de l’un ou l’autre ?
Je travaille surtout en noir et blanc, déjà parce qu’en terme de photographie je vois en noir et blanc… c’est-à-dire que je remarque tout de suite les effets de matières, les ombres ou les lumières qui seraient belles en n&b, j’ai moins le réflexe couleur… il faut vraiment que les couleurs du lieu où je me trouve soient très flashy pour que je me dise « ah ouais là faut de la couleur », comme en Inde par exemple… Mais comme je fais surtout des portraits, le noir et blanc est ce qui me convient le mieux, et puis c’est la seule façon de faire exactement ce que je veux : J’ai une chambre noire, je développe mes films et fais mes tirages moi-même ce qui me permet d’avoir exactement le contraste que je veux, de pouvoir faire ressortir telle ou telle partie de la photo et de reconstituer exactement ce que j’ai vu au moment ou j’ai pris la photo… je ne suis jamais contente des tirages faits par des labos professionnels… Alors je les fais moi-même !!
Comment se fait le choix des thèmes que tu abordes (surf, musique, Inde…) ?
Je fais des photos de ce qui me plaît et surtout j’aime faire des photos des contre cultures, et des milieux un peu rebelles et marginaux, de gens qui refusent de se fondre dans la norme de la société de consommation dans laquelle nous vivons. C’est pour ça que je fais surtout des photos de musique, de surf/skate et de camps de réfugiés Tibétains… Pour moi c’est une forme de contestation.
Comment en vient-on à s’intéresser au surf à ce point quand on habite Orléans ? (je sais que ça parait un peu con comme question mais bon..)
En fait j’adore l’océan et plus ça va, plus j’ai un besoin viscéral de le voir. Mes parents étaient des amoureux du Pays Basque, ils m’y ont souvent emmené quand j’étais petite, et ils m’ont transmis le virus. Je trouve que c’est un endroit magnifique, mais il faut y aller hors saison pour vraiment pouvoir l’apprécier.
As-tu déjà pratiqué ?
Oui, mais on ne peut pas dire que je sois une bonne surfeuse ! Il faudrait que je puisse y consacrer plus de temps… Le surf c’est très ingrat quand on débute et si on ne pratique pas régulièrement, il faut tout recommencer à zéro à chaque fois… Sur les contests, je n’ai pas le temps de m’y mettre vraiment… Donc à chaque fois, c’est quand j’ai un peu de temps et que les conditions me conviennent (pas trop de vent, pas de trop grosses vagues !) disons que dans mes grands moments j’ai juste réussi à tenir debout sur la planche… Mais le fait de prendre des vagues est une sensation très agréable… Même si je ne suis pas bonne je m’en fiche, je me fais plaisir !
J’ai remarqué que tu n’avais pas shooté de surfeuses, était-ce un choix délibéré ?
Si si j’en ai shooté, c’est dans la catégorie « Roxy Pro France » et puis il y en a dans « Lacanau Pro » aussi il me semble… mais c’est vrai qu’il y a moins de photos de surfeuses que de surfeurs, peut-être parce que les compétitions de surfeurs sont plus nombreuses… Le surf pro féminin c’est quelque chose de relativement récent et il y a donc moins de surfeuses que de surfeurs dans les compétitions… Mais ça n’empêche pas que c’est du surf de très très bonne qualité et que certaines n’ont rien à envier aux plus grands champions… Non, je shoote aussi les surfeuses et d’ailleurs en tant que photographe fille j’ai un rapport un peu privilégié avec elles… En fait il y a très très peu de photographes filles dans le surf ce qui crée une sorte de « solidarité féminine » entre les filles et moi. ça se traduit juste par un échange de regard, un sourire, ou une expression de visage qu’elles offriront plus volontiers à moi qu’à un photographe homme… Comme par exemple une de mes photo préférées, c’est le portrait de Rochelle Ballard dans les coulisses du Lacanau pro (cf catégorie surf/Lacanau pro). Rochelle Ballard m’a offert ce sourire radieux et m’a laissé l’approcher de très près, sans se sentir agressée ou stressée… Je pense que ça n’aurait pas été possible avec un photographe homme car elle se serait peut être sentie gênée… Surtout que sur le surf je travaille essentiellement au 35 mm, il faut donc que je m’approche très très près de mon sujet… ça demande donc un rapport de confiance avec celui-ci, ça veut dire que l’on me fasse forcément confiance… je suis une des seules à travailler comme cela dans le surf, la plupart des autres photographes ont un bazooka (téléobjectif) afin de faire surtout des photos d’action et font souvent des portraits sans être vus du sujet. Moi ce n’est pas mon truc. Je préfère les photos d’ambiance, les portraits, montrer ce qui se passe en coulisse, comment sont les surfeurs dans la vraie vie. Les gens ont tendance à oublier que ce sont des sportifs de haut niveau avant tout. Souvent on me demande comment ça se passe backstage, si c’est la débauche la plus totale… Mais pas du tout, les surfeurs sont très concentrés, ils jouent leur vie à chaque fois et la plupart ne savent faire que ça, donc ils ne font la fête qu’à la fin de la compétition, ou quand ils sont éliminés. Ce sont de vrais contests de haut niveau, pas des attractions pour les touristes !
Quel est ton surfeur favori ?
Houla, c’est une question difficile… J’admire le style de Kelly Slater, et d’ailleurs beaucoup de gens dans le surf s’accordent à dire que c’est toujours le meilleur surfeur du monde, même si au niveau compétition ce n’est plus lui depuis plusieurs années déjà… Il y a quelque chose de magique dans sa façon de surfer, il fait corps avec la vague, c’est très fusionnel… d’un point de vue plus technique il est très souple, ce qui facilite ce corps à corps… Non c’est vraiment magique de le voir surfer… Sinon j’admire le style de Joel Tudor, un longboarder (j’adore le longboard !!). En short board, je dirais la classe de Mark Occhiluppo, le surf très carré d’Andy Irons, le style brésilien de Neco Padaratz, et puis j’aime beaucoup le style de Ozzie Wright, un free surfer (c’est-à-dire qu’il ne fait aucune compétition).
Peux-tu nous parler des musiciens que tu as photographiés ?
Euh oui… ben il y a laudanum/Matthieu Malon, qui comme je l’ai dit précédemment m’a servi de cobaye… Pour Matthieu que ce soit avec son projet solo ou pour laudanum, son projet électro, j’ai surtout fait des photos de concert ou saisies sur le vif, nous n’avons jamais fait de séances photos. C’est toujours des moments que j’ai capturés, sur scène, chez lui, chez moi, en studio… Mais on doit refaire des photos ensemble en juin et Matthieu m’a dit que cette fois-ci il voulait que l’on fasse une vraie séance photo. Et puis il y a Collection d’Arnell Andréa, j’aime bien travailler avec eux, car il y a tout un travail esthétique… On fait essentiellement des « séances photos » avec mises en scène et tout (même si j’ai fait quelques photos live d’eux). En fait je crois que ça dépend du rapport qu’ont les gens avec l’objectif et leur image. Je respecte énormément ça. Je ne veux surtout pas les brusquer ni leur faire faire quelque chose qui ne leur ressemble pas. On discute de ce que eux veulent et moi je veux que ça paraisse naturel. Je ne pourrais pas faire des photos dans un studio, car c’est très surfait et ça ne ressemble pas vraiment à la réalité. Moi je préfère photographier les gens dans leur univers, ou dans un univers qu’ils ont choisi, pour que ça leur ressemble et qu’ils se sentent à l’aise. Matthieu par exemple, je sais que si nous n’avons pas fait de séance photos jusqu’à présent c’est parce qu’il se serait peut être senti mal à l’aise… S’il me l’a proposé pour juin, c’est qu’il le sent et ça pour moi c’est important. Avec Collection, c’est toujours eux qui choisissent le lieu et moi je m’adapte, en fonction du style de l’endroit. La dernière séance photo que nous avons faite ensemble remonte à cet hiver (cf mon site et le leur) on voulait reconstituer l’ambiance « Bella Lugosi », on y a passé tout l’après-midi, avec le maquillage et tout, c’était très bien. NDE (cf leur site et la catégorie Music de mon site)… Une partie à été réalisée en studio pendant qu’ils enregistraient, et puis nous sommes allés nous balader dans la rue tous ensemble un après midi et j’ai vu ce rideau de fer… je me suis dit que cette matière rendrait bien en n&b et que ça collerait avec leur musique. Il y a aussi les photos des Burning Heads lors de l’enregistrement d’Opposite… Ce qui était intéressant, selon moi, c’est que j’ai réussi à faire en sorte qu’ils m’oublient, qu’ils oublient ma présence dans le studio… Et c’est d’ailleurs devenu ma façon de procéder, j’attends que les gens oublient que je suis là, ça me permet de vraiment saisir une expression, un regard… Et puis mon appareil photo est très discret, il est très silencieux et souvent les gens ne le remarquent pas. Le fait de travailler au 35 mm n’agresse pas les sujets. Ils ne se « méfient pas »… Alors que si l’on se pointe avec un gros bazooka, là ils vont stresser !
Tu chantais sur l’album de Matthieu Malon (sur Juste en face, morceau de l’album Froids, paru en 2000, ndlr), aimerais-tu réitérer l’expérience ?
Ça devrait se refaire sur son prochain album. Il me l’a proposé et j’ai accepté avec plaisir. Avec Matthieu, on a également un projet de reprises depuis quelques temps. Peut-être qu’à force d’en parler, ça va finir par se faire.
Tu dis avoir vendu ton ampli guitare. T’arrive-t-il encore de gratouiller ?
Oui, de temps en temps… Mais rien de bien transcendant. J’ai fait quelques morceaux, certains sont d’ailleurs en ligne sur la radio de mon site. Il y en a même un où je chante (Tibetan Tale et Fantasy, titres signés Ashok Leyland, autre pseudo de mon webmaster)
Que sont devenues tes photos des Girls Vs Boys ?
Elles se portent bien, merci ! C’est drôle car le batteur de Girls vs Boys, Alexis Fleisig m’a contacté peu de temps après le concert au Be Bop festival du Mans (là où ont été prises ces photos) pour me dire qu’il aimait bien ce que je faisais (ils m’a retrouvé via le site de laudanum, où il y a un lien vers le mien) et me demander si j’avais fait des photos d’eux, car ils n’en n’ont pas. Il fait de la photo lui aussi, et il fait beaucoup de photos de leurs tournées mais ne peut bien sûr pas en faire quand il est sur scène… Je lui ai donc envoyé les photos chez lui, à New York, mais elles me sont revenues… Il devait manquer quelque chose dans l’adresse… avec Alexis on a vu là comme un acte terroriste du gouvernement américain contre la France. Il y en a une que j’aime particulièrement qui devrait être sur mon site bientôt dans la catégorie « Seen on Earth ».
Quels sont les musiciens que tu aimerais photographier (hormis Fugazi bien sûr) ?
Ce que je sais c’est que je n’aimerais pas travailler avec des « rock stars », c’est-à-dire tous ces nazes qui se prennent pour le centre du monde, qui sont là juste pour gagner plein d’argent et qui n’en n’ont rien à foutre des gens qui achètent leurs disques et de l’impact qu’ils ont sur eux. Je crois que j’aurais dû mal à travailler dans le cadre d’une commande d’un groupe, avec un cahier des charges, des directives très précises et tout… Moi je préfère faire mes photos comme je le sens et après, si ça plaît, tant mieux !! J’ai besoin de sentir que l’on me fait confiance sinon je crois que ça me bloquerait. Mais le concept des commandes c’est quelque chose d’un peu étrange, de toute façon… Bon, pour répondre à la question je crois que j’aimerais bien travailler avec des musiciens de la scène techno ou électronique. Genre Underworld par exemple. Leurs photos sont souvent un peu arty mais il y a de très bonnes idées et à chaque fois, c’est très joli ! Sinon j’aimerais bien travailler avec tous les gens dont j’aime bien la musique, et il y en en a quand même beaucoup… En fait tous ceux qui me laisseraient une part de créativité suffisamment grande pour que je puisse m’exprimer, que ce ne soit pas juste un boulot « alimentaire » mais une rencontre vraiment intéressante.
As-tu toujours un appareil sous la main ?
Oui, je me déplace toujours ave mon Leica, ou un petit appareil demi format (c’est avec cet appareil là que je fais les photos avec une barre noire au milieu, dans « Seen on Earth ») c’est un type d’appareil qui ne se fait plus, mais qui était très en vogue à la fin des 70’s. Il fait 72 photos sur une 36 poses, puisqu’il n’utilise que la moitié d’une pose normale… moi je m’en sers pour faire des séries aléatoires, c’est-à-dire que je fais développer 2 photos sur le même tirage et je ne sais jamais quelles photos vont se retrouver ensemble !
Quelles étaient tes motivations quand tu as décidé de créer ton site ?
Le but c’était de montrer ce que je fais, sans prétention. Au départ c’était surtout destiné aux magazines de surf pour lesquels je travaille, qu’ils aient à leur disposition ma banque d’images.
Qui est ton webmaster ?
Le même que laudanum et Near Death Experience…
As-tu déjà exposé ton travail ? Tu parles dans ton journal d’une expo à Bayonne, où ça en est ?
Oui j’ai fait quelques expos photos, à l’Astrolabe notamment… la première était une expo photo sur le skate, lors du Pure Baballe Festival (en 1999 je crois). Oui il doit y avoir une expo à Bayonne en juin (du 13 juin au 05 juillet, galerie Mattin, place Saint André, Bayonne. Vernissage le 13 juin à 18 h). C’est une expo avec plusieurs photographes, on présente chacun 3 photos et un autoportrait. Moi j’ai rendu mes copies l’hiver dernier, et j’avoue ne plus trop y avoir pensé depuis.
Es-tu en contact avec d’autres photographes, amateurs ou non ?
Oui constamment. Surtout par emails. Certains m’écrivent après avoir vu mon site web, et puis il y a tous ceux que j’ai rencontré dans le surf et avec qui je reste en contact… Il y a une espèce de nouvelle vague, c’est-à-dire des jeunes photographes comme moi avec qui on se serre les coudes, on essaie de s’entraider et d’être solidaire sur les compétitions de surf. Certains vieux de la vieille dans le surf ont tendance à ne pas trop se mélanger avec les « djeun’s » ils sont souvent distants et nous snobent un peu… C’est surtout la génération d’avant, ceux qui ont connu les débuts du surf pro en France et qui nous prennent pour des branleurs… On fait déjà un métier qui est très solitaire alors c’est pas la peine de se mordre entre nous, je trouve que c’est plus sain et plus agréable de sympathiser plutôt que de se tirer dans les pattes… Et puis, sinon, je communique régulièrement avec une amie photographe, Cynthia Connolly, qui est américaine, il y a d’ailleurs le lien de son site web sur mon site.
Existe-t-il un ou une photographe dont tu admires particulièrement le travail, ou l’approche ?
Oui, Glen E. Friedman. Un photographe américain qui a des convictions et qui a toujours su garder son intégrité. C’est très important à mes yeux. Il a fait des photos dans les milieux alternatifs tels que la scène skate, hard core et hip hop au début des 80’s aux Etats Unis… Il a fait de superbes photos de Fugazi, de Minor Threat… C’est lui qui est l’auteur de la pochette de « check your head » des Beastie Boys. J’aime beaucoup ce qu’il fait.
Quelle est la photo dont tu es le plus fière ?
Houla… Je ne dirais pas la plus fière… Disons que pour moi, chacune de mes photos est liée à un moment précis et à une émotion… Alors ce n’est pas de la fierté que j’éprouve quand je les regarde mais une émotion, ça me rappelle ce que je ressentais au moment où j’ai pris la photo… Et puis c’est pas évident, car je viens de terminer de travailler sur des photos qui viennent d’être mise en ligne (celles de mon dernier voyage en Inde et au Népal, en mars dernier) et je les ai plus en tête que celles qui étaient déjà sur le site… mmm… J’aime bien la photo de C.J Hobgood en train de signer un autographe à deux gamins. J’aime bien aussi celle de Flavio Padaratz qui s’apprête à aller surfer, et celle de son frère, Neco, devant des immeubles à Bakio en Espagne, en train de regarder anxieusement la série d’Andy Irons… Et j’aime beaucoup celles de l’hospice du camp de réfugié tibétain de Mundgod. C’est un lieu complètement délabré, un mouroir, où les vieux Tibétains viennent s’éteindre. C’est un lieu très émouvant, car ce sont eux la mémoire vive du Tibet, ce sont eux qui ont vraiment connu le Tibet d’avant l’invasion chinoise, et on les laisse mourir sous des toits qui fuient, des murs qui s’effondrent… Ils ont fui le Tibet, ont traversé les plus hauts sommets du monde pour échapper à l’oppression chinoise, ils on tous vécu la difficulté de l’exil, de devoir tout construire de leurs mains… Car ce sont eux qui ont construit à la machette les actuels camps de réfugiés tibétains… Je suis retournée en mars dernier dans cet hospice et j’ai refait des photos là bas, notamment de la plus vieille femme du camp, elle a 103 ans… J’ai hâte qu’elle soit sur mon site, mais le « problème » c’est que c’est une diapositive et que pour l’instant je n’ai pas de scan à diapos.
Les voyages semblent occuper une place très importante dans ta vie, notamment ta découverte de l’Inde, peux-tu nous en dire un peu plus ?
Oui j’aime bien voyager… Je pense que c’est dans « l’exil » que l’on est le plus créatif. L’Inde est un pays magique. C’est immense et complètement imprévisible. C’est le seul endroit, pour l’instant, où j’ai le sentiment d’être vraiment chez moi. Je sais que ça peut paraître un peu bizarre, mais c’est vrai. Dès mon premier séjour en Inde, en 1998, j’ai été envahie par ce sentiment d’être enfin chez moi. Je m’y sens bien.
A quand remonte ton premier voyage là-bas, pourquoi l’Inde ?
Mon premier voyage en Inde remonte donc à 1998, j’y suis allée 4 fois en tout. J’y vais presque chaque année. En fait là-bas, je vais dans des camps de réfugiés tibétains, pour une association humanitaire qui s’appelle Don et Action pour le Tibet. C’est une association qui a pour but d’aider les réfugiés tibétains en Inde et au Népal (www.donactiontibet.org)
Qu’est-ce qui t’attire dans la philosophie bouddhiste ?
C’est un peu ma culture aussi, dans le sens ou j’ai été élevée comme ça. Mon père est bouddhiste, il a passé beaucoup de temps en Inde et au Népal quand il était plus jeune et j’ai eu la chance de rencontrer de grands maîtres tibétains dès mon plus jeune âge. Donc la philosophie Bouddhiste fait partie de l’éducation que j’ai reçue et cela me convient parfaitement. Quand j’étais plus jeune et que je vivais encore chez mes parents, mon père organisait des manifestations en faveur de la cause tibétaine sur Orléans (des mandalas, des danses et chants sacrés du Tibet, des expositions – vente d’artisanat tibétain…), il y avait donc (et il y a toujours !) parfois des moines tibétains à la maison… Donc quand je suis allée en Inde pour la première fois, j’étais dans mon élément dans les monastères tibétains !
Comment as-tu été accueillie dans les monastères ?
Très bien, en fait le monastère où je vais souvent est un peu ma « famille de cœur »… Quand j’avais 17 ans, j’ai commencé à parrainer un jeune moine de ce monastère avec mon argent de poche (je lui payais ses études) et nous nous somme donc rencontrés pour la première fois quand je suis allée en Inde en 98… Aujourd’hui il vole de ses propres ailes, mais j’en parraine un autre…
As-tu participé à une retraite, es-tu restée plusieurs jours dans le même monastère ?
Non je n’ai jamais fait de retraite, mais je suis déjà restée plusieurs jours dans un monastère car quand je vais dans le camp de réfugiés de Mundgod, j’habite dans un monastère : le monastère de Shedphelling, là où ont été prises la plupart des photos de moines qui sont sur mon site.
Comment arrives-tu à concilier voyage et vie professionnelle ?
Je m’organise… Je pars en Inde pendant les périodes « creuses » quand je n’ai pas trop de travail, sinon je pars en voyage dans le cadre de mon travail (pour les compétitions de surf, par exemple).
Aimerais-tu vivre pleinement de la photo ?
Je ne vis que de la photo, mais ce n’est pas facile et on ne peut pas dire que je gagne bien ma vie !! En France, je vends surtout des photos à Surf Session. Cette année, j’ai vendu pas mal de photos à Tracks, un magazine de surf australien, ainsi qu’à Surfer Magazine et Transworld Surf, deux gros magazines américains.
Tu sembles avoir une éthique dans la vie de tous les jours, tes rencontres sont-elles motivées par cela ?
Oui forcément… disons que j’ai beaucoup de principes… Je suis végétalienne par convictions, car je trouve que c’est égoïste de faire tuer des êtres sensibles, qui ressentent autant que nous le stress, l’angoisse et la douleur, juste parce que l’on trouve ça bon… J’ai décidé de devenir végétarienne quand j’étais ado, car je me sentais coupable que l’on tue des animaux pour moi, puis au fil des années ma réflexion s’est affinée… J’ai découvert l’horreur des conditions de vie des animaux de fermes, et qu’à l’école on m’avait menti : les fermes d’aujourd’hui ne sont pas du tout comme dans les livres pour enfants, ce sont de grosses usines qui n’ont qu’un seul mot d’ordre : la rentabilité, et elles ne font pas beaucoup cas de la souffrance des animaux élevés en batterie… J’essaie de n’acheter que des produits sans cruauté, c’est-à-dire non testés sur animaux (ce qui n’est pas toujours facile quand on voit que tout est testé sur des animaux, même les produits d’entretien !!) Et j’essaie d’encourager du mieux que je peux l’agriculture biologique, car c’est meilleur au goût, pour la santé, et pour l’écologie. Je pense que le seul réel pouvoir que nous ayons à l’heure actuelle c’est d’être des consommateurs, et je crois en la consom’action. C’est en fonction de ce que nous achetons, nous consommateurs, que le marché évolue, prenons le bio par exemple, aujourd’hui on en trouve partout, il y a encore 5 ans c’était très marginal… Aujourd’hui même les superettes ont leur propre marque bio !! Et puis je ne fume pas, je ne bois pas, je ne me drogue pas… donc tout ça fait que oui, ça influence forcément mes rencontres !!
Quels sont tes différents projets ?
Je voudrais faire des cartes postales pour cet été, mais je me prends surtout la tête sur les histoires de droits etc… C’est chiant car je voudrais faire des cartes postales de mes portraits de surfeurs, mais je n’ai pas leur autorisation écrite et ça peut être embêtant… C’est pas trop les surfeurs eux mêmes que je crains car je les connais un peu et je sais qu’il n’y aurait pas de problème… Ce sont surtout les managers et autres sponsors… je ne sais pas trop… Moi je me suis toujours basée sur la façon de faire des télés, qui filment sans rien faire signer (sauf pour les mineurs), partant du principe que si la personne ne souhaite pas être filmée elle doit le dire sur le moment… donc moi j’ai toujours fonctionné comme ça, en me disant que si la personne ne veut pas que je la photographie, elle me le dit quand elle me voit prendre la photo… De plus je me dis que lors des contests de surf, les gars sont pris en photo et ça fait partie du truc ! C’est de la promo pour eux aussi et ils sont bien contents d’avoir des parutions dans les magazines, ça peut les aider à démarcher des sponsors. Mais bon… si je vends les cartes postales, là ça peut être discutable et il faut bien que je rentre dans mes frais… bref je ne sais pas trop ! Les 23, 24, 25 mai prochains je serai à Marseille pour faire des photos sur un gros contest de skate, et puis il y a donc normalement une séance photo au mois de juin avec Matthieu, et peut-être aussi des photos avec Devon Miles… Disons que nous en avons parlé à plusieurs reprises avec Boris, il faut juste que l’on se mette d’accord sur une date… Il y a également cette exposition photo à Bayonne en juin ; et puis je pense que cet été je ferai la navette entre les compétitions de surf et le studio Nyima, un studio d’enregistrement qui vient de se monter à Saint Jean le Blanc, car Collection d’Arnell Andréa et Matthieu Malon doivent y enregistrer chacun un nouvel album… Les compétitions de surf, auront donc lieu, malgré la marée noire, il y en a jusqu’en octobre prochain… Voilà en gros mon planning des 6 prochains mois !!
Quels sont tes coups de cœur du moment ?
Je tiens à préciser que j’ai rédigé cette interview en écoutant « Hail to the Thief », le nouvel album de Radiohead (voir chronique) qui est vraiment énorme !! Il n’y a pas beaucoup de groupes qui ont ce tel niveau de créativité, qui savent se renouveler et qui ont vraiment des choses à dire, c’est d’ailleurs vraiment dommage que les autres groupes soient plus occupés à jouer les rock stars qu’à vraiment dire des choses intelligentes. Radiohead justement a démontré que l’on pouvait être mondialement connu et reconnu, vendre des millions d’albums et garder son intégrité, ils ont vraiment une bonne attitude et ne se sont pas laissés corrompre par le succès, l’argent… Je ne sais pas si vous avez vu la vidéo « Meeting People Is Easy » où on les voit en tourner, en interview… Et puis il y a Fugazi bien sûr… Leur dernier album, The Argument est vraiment magnifique… C’est le plus beau concert que j’ai vu de ma vie… C’était à Poitiers en 2000, je crois. C’était très très intense, dire qu’ils prétendaient être fatigués ce soir là !!! Nous y étions allés avec Matthieu d’ailleurs et je crois me souvenir que ce concert l’avait bien calmé lui aussi. Sinon plus récemment, un concert d’Underworld au Bataclan, c’était le 19 novembre dernier… Ce concert m’a aussi impressionné. Je n’avais jamais vu des gens retourner littéralement toute une salle de concert comme cela. Il n’y avait pas une personne qui ne bougeait pas, toute la foule ne faisait qu’un seul bloc, une seule et même vague c’était très impressionnant. J’ai bien aimé aussi le dernier album de Beck, Sea Change, que j’ai trouvé joli… Le dernier album des Delgados, Hate … Et puis j’aime beaucoup Nine Inch Nails aussi… En général quand je dis ça les gens me regardent bizarrement après…
Quelque chose dont tu aimerais parler ?
Oui, ce serait bien que tous les gens qui lisent cet article prennent conscience de toute la souffrance animale qui les entoure. Dans les cosmétiques, les produits d’entretien, dans leurs assiettes, dans les cirques, dans les vêtements… Qu’ils prennent juste 3 minutes pour méditer sur cette phrase qui est le slogan de l’association Peta : « Animals are not ours to eat, wear, experiment on, or use for entertainment » (www.peta.org)
Pour finir une petite question saurais-tu nous dire qui est Jem Cohen (c’est pour déconner !!) ?
C’est le très talentueux réalisateur du documentaire « the instrument » sur Fugazi… c’est en partie à cause/ grâce à lui que j’ai fait l’acquisition de caméras super 8.
Noémie vit aujourd’hui à Londres.
http://www.noemieventura.com/