La fièvre : jeux d’influence et manipulations
La Fièvre est une série française créée par Eric Benzekri, produite et diffusée par Canal +.
Elle raconte le parcours de deux géniales communicantes, anciennes amies qu’aujourd’hui tout oppose.
L’une, Marie Kinsky, interprétée par Ana Girardot, est solaire, médiatique, provocatrice, manipulatrice et cynique.
L’autre, Samuelle Berger, campée par Nina Meurisse est taciturne voire dépressive, secrète, utopiste et légèrement paranoïaque.
Elles se sont quittées en mauvais terme il y a des années. Les circonstances vont les amener à s’affronter.
Tout commence par un dérapage : Fodé Thiam (Alassane Diong), grand joueur de football d’un club parisien, frappe son entraîneur (le truculent Pascal Vannson) et le traite de « sale toubab » (« sale blanc » en Wolof), ce, pendant une cérémonie qui récompense les grands footballeurs, retransmise en direct à la télévision. C’est alors l’emballement médiatique : journalistes et réseaux sociaux, on ne parle plus que de ça. Le président du club (Benjamin Biolay, sobre et élégant) fait appel à une agence de communication de crise pour lui venir en aide. C’est là qu’entre en scène Samuelle Berger, brillante analyste et conseillère en communication, qui va tout faire pour aider le club et Fodé Thiam à se sortir de cette situation inflammable.
Mais c’est sans compter sur l’allumette que tient Marie Kinsky, humoriste très adroite et très à droite, qui va utiliser cet événement footballistique pour enflammer toute la société sur des thématiques telles que le racisme anti blanc ou le droit de port d’arme pour chaque citoyen.
Le retentissement sera tel, que la sphère politique devra s’emparer de ces sujets…
Toute la série est basée sur l’opposition entre Samuelle l’idéaliste pessimiste et Marie la cynique exaltée. Chacune dans l’ombre, guide ou manipule (c’est selon) ses interlocuteurs pour les amener là où elles veulent : la pacification de la société ou sa rupture.
La Fièvre est écrite comme un thriller haletant, elle est passionnante de bout en bout alors qu’elle évoque des sujets sociétaux, politiques, sociologiques parfois complexes. L’exemple parfait est le principe de la « fenêtre d’Overton« , exposé ici avec simplicité et brio.
Toutefois, elle n’est pas sans défauts : Si le personnage de Samuelle est superbement écrit et interprété par Nina Meurisse, celui de Marie est plus survolé. Comment est-elle devenue cette « grande méchante » ? Son cynisme permanent nous interroge sur le fond de sa pensée : quel est son but profond, où se situe sa sincérité ? Même Ana Girardot semble parfois avoir du mal à interpréter son personnage tant il manque de profondeur.
L’idée de porter à l’écran ces deux femmes que tout oppose était très intéressante. Malheureusement, les personnages restent un peu trop archétypaux, comme une espèce de miroir trop parfait. La gentille communicante veut le bien de tous quand l’autre ne rêve que de chaos… Là encore, un peu de nuance aurait apporté de la vraisemblance. Car enfin, nous aurions du sortir glacés et alarmés par une telle série tant ce qui s’y déroule semble plausible. Mais en voyant des personnages trop manichéens, on se rassure vite en se disant que ce n’est que de la fiction… Et Benzekri rate son coup.
La Fièvre reste malgré tout une bonne série qui explique très bien les phénomènes et les mécaniques d’influence dans le monde médiatique contemporain.
Bande-annonce de La fièvre
Peu à peu, il devint impossible d’échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques, les plus débonnaires étaient enivrés par les vapeurs de sang. Des amis que j’avais toujours connus comme des individualistes déterminés s’étaient transformés du jour au lendemain en patriotes fanatiques. Toutes les conversations se terminaient par de grossières accusations. Il ne restait dès lors qu’une chose à faire : se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que durerait la fièvre.
“Le Monde d’hier” de Stefan Zweig
La Fièvre est disponible sur Canal + depuis le 18 mars 2024.
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